Les gardes-manger et la boucherie

Certaines choses peuvent être remises à plus tard. D'autres non. Certaines ont déjà été assez remise à plus tard. Et certaines choses sont à faire maintenant parce qu'elle en a envie. Et puis il se cache depuis trop longtemps. Elle sait bien qu'au final, on lui mettra tout sur le dos, mais c'est normal, elle est une sorcière et réputée pas très gentille en plus. Enfin, pas elle, mais ses semblables... surtout sa mère et sa grand-mère quoi.

Elle ferme les yeux et cherche sa magie. Oui, parce que Halewyn a une magie particulière. Habituellement, c'est qu'une vague sensation, mais elle en effleure les subtilités aujourd'hui. Probablement parce qu'elle le cherche. Suivant ses sens, elle avance tranquillement. Elle fait tout lentement, parce qu'il lui semble que le moindre effort l'étourdit.

Elle piste Halewyn assez rapidement tout de même. Il n'y a pas tant d'endroits ou il peut se cacher maintenant. D'un pas léger, à défaut d'avoir sa grâce et son enthousiasme habituel, elle arrive devant la boucherie. L'odeur du sang y est forte, mais il flotte aussi l'odeur de la magie d'Halewyn. Sa lange glisse sur ses lèvres, puis elle se présente à la porte.

Elle n'a fait que quelques pas à l'intérieur qu'elle se fait attaquer par une lame chauffée à blanc. Agile, elle bondit de côté et se plaque contre le mur. Mais c'est encore un peu trop d'action pour son état. Sa vue se trouble et elle reste contre le mur.

- Bon sang, dit-elle en fermant les yeux.

Sa peau nue contre le mur froid lui fait un bien fou. Elle n'a pas froid. Elle n'a presque jamais froid. Elle n'aime pas se sentir dans cet état. Elle ouvre les yeux et reprend son aplomb. Elle prend le temps d'observer Halewyn. Elle ne sait même pas s'il l'a remarqué. Ce qu'elle remarque, c'est que la lame qu'il utilise, comme celle qu'il a de rage balancé, commence à s'échauffer.

- Ça te brûle ? demande-t-elle en s'approchant lentement.

C'est bizarre de ne pas la voir presque danser chaque fois qu'elle se déplace.

Il ment. Il ose lui mentir comme ça ? Tout en tentant de maladroitement cacher l'indice ? Elle penche la tête et le dévisage, mais elle ne dit rien. Le mensonge est si flagrant que lui même doit se rendre compte que ça fait carrément l'effet contraire de ce que devrait donner un mensonge. Mais elle ne dit rien, ce qui est peut-être pire encore que si elle l'avait confronté.

Elle se plante à quelques pas de lui, sans cesser de le fixer, attentive. Elle essaie de voir ce qui est différent, mais elle ne sait pas trop si c'est différent maintenant ou c'est parce qu'avant, elle n'avait pas remarqué. Elle qui d'habitude marche sur la pointe des pieds, ce qui la grandit de quelques précieux centimètres, marche de plein pieds. Elle ne semble pas se soucier de ce qui traîne sur le sol, parce qu'elle est pieds nus. Elle est toujours pieds nus... enfin, presque. à

- Oui, je suis encore chancelante, mais j'en ai marre de me reposer, dit-elle sans le quitter des yeux. Je ne connaissais pas la boucherie. Je me doutais bien qu'il pouvait y en avoir une, mais je n'étais jamais venue. Mais je savais que tu étais ici. Enfin, je savais pas que c'était dans la boucherie, mais je savais que tu étais là, dit-elle en lui prenant la main et en retirant le torchon. J'ai suivi tes traces. J'ai suivi ta magie. Je sais ce que tu as fait sur les remparts. Je l'ai senti, je l'ai ressenti, avoue-t-elle en enroulant délicatement le torchon autour de la plaie, assez serrer pour couper le flot de sang, puis j'ai compris que c'était toi. Et il y a eu les catacombes et l'infirmerie. Trop d'événements pour que ce soit de la magie résiduelle. Elle sourit et relâche sa main. Ils ne vont pas apprécier que je m'y intéresse. Je suis une sorcière, précise-t-elle.

Elle continue de dévisager Halewyn, patiente, même si elle fronce les sourcils lorsqu'il prononce son prénom. Il ne ment pas, mais elle doute que ce soit parce qu'il ne se souvient pas. Il ne le comprend pas, alors ça n'existe pas. Beaucoup de gens réfléchissent ainsi. Surtout lorsqu'ils sont très terre à terre. Elle peut comprendre qu'il ne se souvienne pas de l'infirmerie, il était inconscient presque tout le temps. Mais il doit nécessairement savoir qu'il y a séjourné puisqu'il s'y est réveillé. En ce qui concerne les catacombes... elle aurait du y revenir plus tôt...

- Tu as tort. Tu étais là, juste à temps, sur les remparts. J'ai ressenti ta présence. J'y ai puisé l'énergie dont j'avais besoin pour avoir la force d'y plonger. J'y ai puisé ta force brute, le nargue-t-elle en lui donnant une petite poussée sur l'épaule. Ne te reproche pas de ne pas avoir pu nous retenir. J'y serais allée de toute manière. Je voulais y aller, Halewyn.

C'est la vérité, mais peut-être pas sincèrement. Elle devait y aller plutôt. Elle se croyait bien la seule à avoir la force et le bagage pour y survivre. Elle pensait que Muelle ne serait qu'un guide, mais elle s'est trompée. Halewyn aurait aussi pu y survivre, mais il n'était pas prêt. Il ne reconnait même pas la magie quand pourtant il en est imprégné.

- Tu sais de quoi je parle, mais tu ne le comprends pas. Tu le sens, tu le ressens, mais tu le refoules.

Xoramen inspire, comme si elle voulait faire une révélation, mais elle laisse sa phrase en suspend. Elle ne sait pas de quelle sorte de magie il s'agit. Elle sait que ce n'est pas tout à fait naturel. Enfin, peut-être que si, mais elle sent que ce n'est pas tout à fait naturel. Elle fronce les sourcils et dévisage Halewyn, pensive. Elle baisse les yeux sur le dernier endroit ou elle a vu le second couteau.

- Je ne sais pas exactement de quelle magie il s'agit... elle lève la main pour lui couper la parole. Je suis une sorcière, Halewyn, je connais la magie et je la porte en moi. Et tu la porte en toi. Tu viens de balancer un couteau brûlant sur le sol. Comme tu m'as semblé plutôt contrarié que paniqué, j'en déduis que ce n'est pas la première fois que ça se produit. Alors tu sais de quoi je parle, Halewyn. Elle secoue légèrement la tête. Et n'essaie pas de me mentir, t'es nul.

Et elle sourit.

Xoramen ne quitte pas Halewyn des yeux. Un truc de sorcière, ne jamais baisser les yeux, sauf quand ça peut être utile. Sa mâchoire se serre tout de même lorsqu'il prêtent qu'elle a bien failli y rester.

- C'est faux, je n'ai pas failli crever, dit-elle.

Parce qu'elle connaît ses limites, mais elle ment, parce qu'elle a tout de même prit le risque, parce que lui, il n'aurait pas survécut. Et puis ça n'avait pas de lien avec ses choix.

- Etre contrarie et balancer les objets non plus, Halewyn, note-t-elle, autoritaire. Tu n'as pas tort, tu ne peux pas me faire confiance, je suis une sorcière. Et je suis du genre de sorcière avec qui il est préférable de ne pas avoir de dettes. Mais je suis la seule ici à pouvoir t'expliquer et t'aider à ce que ça ne soit plus un fardeau. De toute manière, tu n'en a parle à personne, donc tu n'as confiance en personne pour le moment. Tu es prévenu, tu ne peux pas me faire confiance et je te le confirme. Je serai donc mal placée pour te corrompre. Je ne forcerai à rien, tu prendra tes propres décisions. Et tu n'es pas magicien. La plupart des magiciens apprennent avant d'arriver a faire quelque chose. Peut être es-tu sorcier, mais j'éviterais ce terme, il fait peur. Et sache que la plupart des créatures magiques aspirent aussi la magie environnante pour pouvoir en user. Tu seras ton propre cobaye. De toute manière, tu n'auras pas le choix, d'une manière ou d'une autre, tu devras faire tes propres expériences, mais sans quelqu'un pour te guider, tu risque de faire du tort et je suis certaine que tu ne veux faire de tort à personne , insinue-t-elle sachant bien qu'il est trop droit et trop protecteur pour que cette idée ne le répugne pas.

Elle ne se cache même pas de mentir. Elle ne l'a jamais fait. Elle ment en toute sincérité. Arch lui en a fait la remarque et elle s'en fiche. Elle sait quand elle ment et elle n'essaie même pas de leur cacher. Ils devront se contenter de cette réponse. Halewyn devra se contenter de cette réponse. Il écoute son monologue et elle ressent son débat intérieur. Oh oui, elle le sait, il doit se méfier d'elle. Une saine méfiance ne fait de mal à personne, surtout quand on est une sorcière, Chimérienne qui plus est.

La magie que dégage Halewyn lui est inconnue. Et ça l'intrigue. De l'extérieur, c'est dangereux de laisser une chimérienne tripatouiller la magie d'un non initié, mais elle n'a pas demandé la permission. Yslaire aurait probablement refusé. Halewyn est terrifié, elle avait raison, il ne veut faire de mal à personne. Elle le laisse réfléchir, longtemps, avant de faire celle qui s'en fiche et de tourner les talons. Il la rappelle et avant même la fin de sa phrase, elle est de nouveau juste à côté de lui et elle sourit.

- On va bien s'amuser, tous les deux, annonce avec un enthousiaste qui peut faire croire le pire. Maintenant que tu sais que c'est la magie, dis-moi comment tu la perçois ? Chaque sorcier peut la ressentir d'une manière différente, dit-elle, avant de se déplacer. Moi, je la touche, dit-elle en laissant courir sa main dans le dos d'Halewyn et elle se place de l'autre côté.

En fait, elle arrivait à la percevoir de diverses manière, mais elle la touchait, surtout.

- Tu brûles ? Elle dévisage Halewyn, sceptique. Le feu ? interroge-t-elle en s'approchant encore un peu. La magie peut être douloureuse lorsqu'on l'endigue. Mais les gens la qualifie surtout d’oppression et de vertige. Pas de feu dans le coeur.

Elle aurait pu se moquer, la manière de le dire était assez bizarre venant d'un type comme lui. Mais elle semble prendre tout ça très au sérieux.

- Ça fait longtemps que tu te sens brûler comme ça ?

Elle lève la main et la pose à quelques centimètres de l'épaule d'Halewyn, mais elle ne lui touche pas. Elle ferme les yeux et ses doigts pianotent délicatement, comme si elle touchait vraiment à quelque chose. En fait, c'est le cas... enfin, presque.

Pire depuis qu'elles sont arrivées ? Muelle et Xoramen ? Ou est-ce les Daee ? Ou les chimériennes ? CE n'est pas clair. Que ce soit pire depuis qu'ils sont revenu, c'est possible, il a été à proximité d'une puissance magique peu commune. Que ce soit de Muelle ou que ce soit d'elle, Halewyn en a peut-être trop absorbé. Elle se demande si les chimériennes y sont pour quelque chose. Habituellement, si des trucs bizarres se passent après leur passage, elle y sont sans doutes pour quelque chose. Elles y sont souvent pour quelque chose.

La main à proximité d'Halewyn, elle cherche à savoir si elle pourrait reconnaître la signature magique de sa mère ou de sa grand-mère. Mais la magie d'Halewyn est rude et agressive, elle le sent au bout de ses doigts. De la magie brute, qui n'a pas encore été dompté. Ce serait tentant d'en jouer, d'en détourner une partie, mais elle ne le fera pas sans le lui demander. Et elle ne le lui demandera pas. Elle est une sorcière, une chimérienne, elle ne demandera pas. De toute manière, elle sait que ce serait peut-être un boost, mais ce serait temporaire. Ce dont elle aurait besoin, c'est de s'immerger dans les marécages, mais ici, ce n'est pas possible. Et au moment ou elle se dit que non, elle n'y touchera pas, il se recule et lui balance qu'il n'aime pas son air. Elle se rebiffe.

- Mon air ? Il a quoi mon air ? interroge-t-elle, piqué au vif. C'est une ado, après tout, elle a 16 ans, elle n'apprécie pas qu'on n'aime pas son air. Et toi, tes yeux, ils sont de quels couleurs ? réplique-t-elle, acerbe.

Non, ses yeux sont rouges. Elle voit bien que ça ne va pas. Il a mal, mais il a aussi peur. Elle hésite à carrément lui faire peur pour qu'il n'essaie pas de fuir comme il le fait maintenant. Pour qu'il lui redemande son aide, encore. Mais elle se dit que ce n'est peut-être pas une bonne idée que de provoquer son mal-être.

Rapide, bien que moins vive que ce qu'elle  pu montrer jusqu'à présent, elle contourne Halewyn et se planque devant lui. Elle plaque ses mains glacées sur son torse pour l'empêcher d'avancer ou du moins pour tenter de le retenir un peu.

- Halewyn, tes yeux ne sont pas bleus. Pas en ce moment. Tu ne peux pas aller te pavaner comme ça devant tout le monde. Elle essaie de le retenir. Qui est mort ?

Non, elle ne va pas le laisser fuir comme ça.

La main toujours posée sur Halewyn, elle laisse sa magie filtrer entre lui et elle, calme, sereine. Une magie chargée de l'odeur de l'eau stagnante. Une magie qui clapote et goutte, une magie qui bourdonne du bourdonnement de millions de battement d'ailes de moustiques et du trille des grillons.

- C'est toi qui a tenté de fuir, pas moi. Je t'ai déjà offert mon aide. Tu as accepté, tu n'as pas a me le redemander. Il faudra d'abord que tu te calme et que tu cesse de paniquer, c'est de la magie, ça n'a rien de terrifiant. Ou presque, mais elle ne précise pas. Ca ira, tout les gamins sorciers passent par là, dit-elle sachant très bien que ça risque de titiller Halewyn, qui doit être à l'âge ou on ne veut plus être un gamin mais que tout le monde nous considère comme un gamin. Xoramen sait bien ce que c'est.

La main toujours sur lui, elle espère qu'il se calmera ou du moins qu'il tentera l'expérience. Et ça semble marcher. Elle le sent se détendre. Il semble avoir une bonne capacité d'autosuggestion. Ou alors c'est l'effet apaisant qu'elle lui procure. Peu importe, pour le moment, il doit se calmer et prendre l'idée qu,il possède de la magie en lui. Une fois qu'il l'aura accepté, il pourra apprendre à se calmer lui-même.

- C'est une bonne description de la magie des sorcières des marais, confirme-t-elle.

D'accord, maintenant elle devra parler en odeur et en sons. Ce sera un peu plus compliqué, parce qu'elle n'a que peu d'odorat et qu'elle n'entends pas vraiment la magie. Ils devront apprendre à se comprendre.

- Chacun a sa manière de percevoir la magie, chuchote-t-elle. Je t'apprendrai à reconnaître la magie, partout ou elle peut se trouver.

Elle hoche la tête, puis retire sa main, coupant l'effet apaisant artificiel, le bruit, les odeurs, plus rien, seulement les odeurs de la boucherie.

Elle hoche la tête. La question est interessante. Il est visible qu'elle ne connaît pas la réponse. Son air interrogateur est sincèrement surpris. Mais si elle prend quelques secondes pour réfléchir, elle détermine qu'il doit tout de même y avoir une réponse correcte à faire.

- Je... Je ne sais pas si c'est en lien avec la magie ou à cause de ce qui s'est produit dans la clairière. Moi, je n'ai pas faim, mais ça na pas affecté mon goût. Enfin, si c'était comme ca avant, j'en sais rien. Normalement, ton corps devrait savoir ce sont il a besoin. Sans réfléchir, de quoi as-tu envie ? Dis la première chose qui te passe par la tete, on verra bien et on essaiera. Et ne pense pas que je me sers de toi comme cobaye, il faut parfois expérimenter sois même, dit-elle baissant les yeux, se prenant elle-même en défaut.

Si Xoramen a l'air surprise par ces révélations, elle n'affiche ni l'air effrayé, ni dégoûtée, ni même moqueuse. Elle le dévisage un moment, le temps de déterminer ce qu'elle doit répondre, prudente. Peut-être qu'elle encaisse l'information, c'est quand même pas banal et elle ne s'y attendait pas. De la chair fraîche et du sang chaud. Du coup, elle cherche bien quelle sorte de magie peut l'affecter en ce sens. Peut-être que ça n'a rien à voir avec la magie. Peut-être s'est-il passé quelque chose qu'elle ignore dans la clairière, ou même avant ?

- Halewyn.... dit-elle, d'un ton grave. Je suis une sorcière et les sorcières sont des monstres. Évidemment, elle ne précise pas à quel point elle peut l'être. Tu as entendu comme moi ce qu'on raconte sur les sorcières des marais, hum ? Ils ont prétendu que je n'étais pas humaine. Lui aussi,d'ailleurs, l'avait prétendu ou du moins il était d'accord. Qu'est-ce qu'un monstre d'après-toi ?

Oui, il devait d'abord déterminer ce qu'est un monstre avant de se déclarer l'un d'entre eux.