Lac Emmuraillé

Elle flotte tranquillement entre deux eaux.

Entre la surface et les profondeurs.

Les bras tendus, ses cheveux épars, son jupon flottant autour d'elle, elle goûte le plaisir d'être totalement immergée. Les bassins de la Montagne noire sont certes agréable, il n'y a rien de mieux que de flotter sans contraintes. L'eau est glaciale, nettement plus que dans les bassins et même peut-être plus froid que l'eau du marécage en plein hiver. Mais Xoramen ne ressent pas le froid. Elle ressent la chaleur. Elle a horreur de la chaleur sèche du feu, mais apprécie la chaleur de l'eau des bassins de la Montagne Noire.

Ce qu'elle fait ici, seule ? Elle attends Fabre. Il est parti chasser. Oh, pas grand chose, juste un petit truc. Depuis qu'ils sont revenu du Piège, le surlendemain qu'elle se soit enfermée dnas sa chambre, ne laissant que Muelle aller et venir à sa guise, Fabre est, un matin, venu frapper à sa porte. Il voulait en savoir plus sur ce qu'elle avait fait aux Kelpies pour revenir du piège et il se souvenait qu'elle avait parlé de carnivores. Elle avait tout d'abordd refusé, prétextant que personne ne serait d'accord à ce qu'un kelpie domestique redevienne carnivore, mais Fabre avait promis qu'il ne voulait tout d'abord essayer qu'avec un seul kelpie, le sien. Enfin, son préféré du moins. Xoramen avait toisé Fabre, perplexe, puis elle avait accepté. En catimini, ils s'isolaient tous les deux. Fabre était prudent et réfléchit. Xoramen avait accepté de tenter l'expérience, mais elle ne lui avait pas fait de cachette. Ça pouvait très mal se terminer. Après quelques jours d'hypothèses ils avaient décidé de mettre leur plan à exécution. Xoramen avait laissé entendre que l'idéal serait un endroit avec beaucoup d'eau, puisque les kelpies étaient aquatique avant tout. Fabre avait sourit et avait déterminé que l'endroit auquel il pensait allait sans doute lui plaire à elle aussi. Il avait parfaitement raison.

Elle entendit les pas du kelpie et bougea pour remonter à la surface. Elle ne voulait pas effrayer Fabre en restant sous l'eau trop longtemps. Elle y était déjà depuis trop longtemps. Elle refit surface, doucement, sans bruit, mais se rendit compte aussitôt que ce n'était pas Fabre. Pire, c'était Halewyn. Bon sang, elle l'avait soigneusement évité depuis plusieurs jours et le voilà. Elle prit une respiration et s'enfonça de nouveau sous l'eau, sans presque faire d'ondes à la surface.

A son grand déplaisir, du moins c'est ce qu'elle s'efforce de croire, Halewyn saute à l'eau. Fabre l'avait pourtant prévenu qu'elle était insupportablement froide et il avait grimacé lorsqu'elle s'y était plongée, après avoir presque tout retiré, sauf son dernier jupon et le corsage épuré qu'elle porte maintenant sous sa chemise plutôt que celui décoré à outrance qu'elle portait à son arrivée. Fabre avait eu la délicatesse de poser le reste de ses vêtements qu'elle avait laissé tomber en vrac près d'une pierre qui empêcherait le vent de les éparpiller. Elle avait pataugé un moment avant d'explorer le lac, puis de se ressourcer, aquatiquement parlant. Et voilà Halewyn qui s'amenait. Aussi délicatement qui lui es possible, elle contourne Halewyn, bien en dessous de lui et se dirige lentement, pour ne pas faire de remous, vers la partie ou il y a un petit bassin naturel de l'autre côté de la roche qui fait surface. Elle arrivera peut-être à sortir et s'éclipser sans se faire voir. Elle est devenue assez habile depuis quelques jours, pour ne pas le croiser. Sans bruits, sans éclaboussures, sans remous, elle refait surface derrière le minuscule îlot, puis elle rampe hors de l'eau, le plus près possible du sol.

Saleté de kelpie. Enfin, elle ne dit pas tout le temps ca. En fait, elle aime bien les kelpies et pas que pour bouffer. Elle aime bien les kelpies sauvages, ceux qui nagent et qui risquent de manger les gens. Ici, à la Montagne Noire, comme les kelpies elle a l'impression d'être domestiquée. Depuis son arrivée, elle a passé quelques temps avec les kelpies. Elle est la seule à se glisser dans les bassins plutôt que de les faire sortir pour les bichonner. Budry, en particulier, adore se faire gratter. Elle n'est donc pas surprise de le voir approcher d'elle et de lui farfouiller dans les cheveux. Mais c'est vraiment pas le moment. Elle essaie de le faire partir, peste a voix basse, mais en vain.

Réflexe stupide, lorsqu'elle voix Halewyn approcher, elle prend la fuite. Côté eau évidemment. En deux ou trois mouvements précipité, mais sans trop d'eclaboussure, elle est de nouveau dans l'eau. Mais elle se rend aussitôt compte qu'elle n'est pas la seule a avoir plongé.

À la Montagne Noire, excepté dans les bassins, les kelpies sont surtout terrestres. Ils ont perdu leurs réflexes sauvages de se précipiter dans tout les trous d'eaux qu'ils croisent. Mais Xoramen vient parfois dans l'eau avec eux, donc il peut bien aller a l'eau avec Xoramen, non ? Buddy est un kelpie obéissant, docile et placide. Se précipiter dans le lac n'est pas du tout son genre. Mais pourtant, il le fait a la suite de Xoramen, avec un hennissement enjoué et éclaboussures enthousiaste. Sans hésitations, il s'enfonce dans les profondeurs du lac, tout arraché qu'il soit, puis il remonte à la surface, mais il n'est pas seul.

Xoramen se rend bien compte que la discrétion, c'est fichu. Lorsque Buddy passe à sa portée, elle s'agrippe à la selle et se hisse sur son dos. Elle émerge en même temps que lui, créatures aquatiques. La tete tournée vers l'arrière, Buddy attends les caresses habituelles, puis qu'ils sont dans l'eau. Elle s'y astreint donc avec moins d'enthousiaste que d'habitude peut-être. Et elle lui fait signe de retourner sur la berge, ce qu'il fait, docile, exprimant son contentement avec des grongnements mouillés peu habituel pour un kelpie domestique. Buddy fend l'eau avec une aisance instinctive, jusqu'à ce qu'il pose la patte au fond. Sa sortir de l'eau est plus lente, ralentit par la force de l'eau qui s'écoule. Le jupon de Xoramen se plaque sur le flanc de la bête tout comme ses cheveux sur sa propre tête.

Elle se laisse glisser sur le sol avec un bruit d'éclaboussure et adresse à Halewyn un regard sombre et contrarié.

- Laisse-moi deviner, t'avais jamais vu de sorcière des marais sortant de l'eau sur un kelpie avant aujourd'hui?

Le ton est moqueur avec peut-être une pointe mesquine dans l'interrogation. L'eau ruisselle sur sa peau, laissant des traces bleuté qui ne restent que le temp d'un battement de cœur. Elle n'a pas froid, elle n'a jamais froid. Et elle semble plutôt contrariée. Et elle l'est. Elle est contrariée de s'être laisse surprendre. Mais elle croyait voir arriver Fabre, pas Halewyn.

Ce n'était pas vraiment une question, mais il y répondit comme si s'en était vraiment une, avec un sérieux déconcertant. Les sorcières des marais ne sortaient pas souvent de l'eau sur le dos d'un kelpie. Si ça se produisait, habituellement, un des deux finissait par dévorer l'autre. Elle fronce les sourcils et pince les lèvres. Renouveler l'expérience. Il se moquait, sans doute. Elle ne relève donc pas.

- Je n'étais jamais venue ici, dit-elle d'un ton neutre en passant près d'Halewyn pour récupérer ses vêtements.

Qu'elle use de magie, on la regardait certes avec une certaine méfiance. Mais lorsqu'elle ne tentait pas de se couvrir pour se protéger du froid, c'est à ce moment que le regard des autres dégageait le pire des jugements. Non seulement c'était une sorcière de la pire espèce, mais en plus elle n'était pas normale. Même JitanJali et Zorehira se protégeaient du froid. Accessoirement, les femmes la trouvaient trop peu habillée tout simplement. Mais si elle cherche ses vêtements, c'est seulement pour échapper au regard d'Halewyn. Le temps qu'elle lui tourne le dos et qu'elle ne l'affronte pas, elle tente de se reconstruire une attitude détachée.

- C'est le seul lac à proximité, affirme-t-elle sans préciser si c'est pour cette raison qu'elle y est ou si c'est pour cette raison qu'elle est évidemment ici.

Xoramen avait affirmé avec une mauvaise foi certaine quelle ne montait pas les kelpies. De quoi est-il content ? Elle pose sur ses épaules le manteau, pas très épais, mais qui donne au moins l'impression aux gens qu'elle se protège du froid. D'une main leste, elle sort ses longs cheveux noirs du col de son manteau. Elle jette un coup d'oeil autour. Elle ne voit pas Fabre... il est probablement sur un autre versant. Elle s'assoit sur la dénivellation pour enfiler ses bottes, toujours aussi silencieuse.

Et comment diable aurait-il pu savoir qu'elle était là ? Rien ne marquait sa présence en ces lieux. Des vêtements, certes, mais ce n'était pas ces vêtements qui la démarquaient. Ces vêtements n'avaient rien à voir avec elle. C'était des vêtements de la Montagne Noire. Ça aurait pu appartenir à n'importe qui, si ce n'est des jupons.

- Tu ne me dérange pas, dit-elle en suspendant son geste d'enfiler ses bottes.

C'est elle qui le dérange. Elle le sent bien. De toute manière, la présence d'une sorcière dérange tout le temps tout le monde. Les gens, en général, supportaient la proximité des sorcières que lorsqu'ils n'avaient pas le choix. Habituellement, elles vivaient assez recluses pour éviter les bûcher et les étangs. Le hic avec les chimériennes c'étaient qu'elle s'imposaient et que jusqu'à maintenant, rien n'avait pu les faire faiblir. Et ici, à la Montagne Noire, ça ne faisait pas exception.

- La glace n'est pas un problème pour moi. Je peux revenir quand je veux, dit-elle en appuyant sur les deux derniers mots. Profite, toi, d'une des dernières journée qui reste.

Et puis tant qu'à diviser le lac en deux, comme si c'était un territoire bien gardé. De toute manière, elle sait qu'il a peur. Il a peur de la magie, de sa magie à lui. Et par-dessus tout, il a peur que la seule présence de la sorcière ne manifeste sa magie. Parce que c'est nécessairement ce qui se produira, tôt ou tard. Elle ne se presse pas. De toute manière, elle doit attendre Fabre.

- Tu n'es pas du genre à papoter de toute manière. Elle lève la tête et observe Halewyn. T'es pas non plus une femme, remarque-t-elle très justement, et je ne crois pas que tu sois sénile, dit-elle en secouant doucement la tête et en baissant les yeux sur ses bottes.

Trouillard et borné, certes, mais pas sénile.

Halewyn s'éloigne et elle ne le retient pas. Elle ne connait pas ses intentions, mais elle ne lui tendra pas la main. Elle l'a fait et il l'a repoussé, chaque fois. Elle évite de le regarder, même lorsqu'il revient. Il s’assoit près d'elle et, par réflexe, elle esquisse un presque imperceptible mouvement de retrait et se replace sur la pierre. Elle ne le regarde pas. Surtout pas. Il aurait pu percevoir son malaise, mais il reste tout de même en place et il ne dit rien. Elle s'efforce de ne pas le regarder. Surtout pas.

- Ce matin, j'ai été dûment piégé. Il y a une amie qui m'a ordonné d'arrêter de me borner et de piler sur mon orgueil. Elle m'a fait promettre de m'y mettre avec toute ma bonne foi et ma volonté avant de tuer quelqu'un, ou moi même.. Ce qu'elle ne sait pas, ce que personne sait, c'est que c'est déjà arrivé, tuer quelqu'un, pas moi-même. Et si chasser est quelque chose, tuer quelqu'un est infiniment...

Horrible. Monstrueux. Abominable. Infâme. Abject. Intolérable. Elle connait les qualificatifs usuel. Elle a été accusée de tout ça de nombreuses fois. Elle reste de marbre, mais elle prend la flasque, peut-être par réflexe. Mais elle ne boit pas. Elle fixe droit devant elle.

- C'était un accident, j'avais même pas 8 ans, mais j'ai compris... Et je me suis juré que ca se reproduirait pas.... Avant que vous arriviez, j'ai jamais eu à reconsidérer cette promesse...

Xoramen n'a jamais tué quelqu'un par accident. Ça n'a jamais été un accident. Évidemment, l'arrivée de deux créatures magiques, deux créatures de l'obscur dans un petit monde fermé et isolé qui combat depuis toujours l'obscur, ça devait nécessairement faire des vagues. La seule différence entre elles et ce que la Garde d'Honneur combat, c'est qu'elles, elle sont déjà sur Eranth.

- Mel m'a mis le nez dedans...

Melewen. Elle aurait du s'en douter. Elle n'est jamais retournée voir Meledwen. Et Meledwen a du se rendre compte que Xoramen n'allait rien faire pour Halewyn.

- C'est à ça que j'essayais de penser ici en fait... Cet endroit... Dégage... je m'y sens bien, si ça n'était des ombres, il y a longtemps que je me serait fait une hutte... Je veux pas de ta pitié... je veux rien, juste que tu sois informée... 

Encore cette insistance à s'isoler. Comme si Xoramen pouvait éprouver de la pitié. Non, Xoramen est une sorcière des marais, une impitoyable chimérienne.

- Je n'éprouve aucune pitié, affirme-t-elle, lugubre.

Et cette fois, elle ne reprend pas la flasque. Elle reste d'un immobilisme presque parfait.

- Je sais pas ce qui s'est passé, mais je me sens vide... Après ta deuxième claque c'est le néant... Juste que je me sentais comme si j'avais vidé un tonneau tout seul.

Sa seule réaction est de fermer la main avec laquelle elle l'a giflé à deux reprises.

- Tu me raconte?

Elle se renfrogne. Elle n'a pas envie de raconter. Elle sait ce qui s'est raconté et elle n'a pas démenti. Elle s'interroge tout de même sur la raison pour laquelle il lui demande à elle de raconter. Ses amis ne lui ont rien raconté ? Leur a-t-il même posé la question, s'il ne se souvient pas ?

- Tu ne te souviens pas ou tu ne veux pas t'en rappeler ?

Elle sent sa chaleur, sur son flanc. Elle, elle ne dégage aucune chaleur, aucun froid, elle ne dégage rien, sauf le grésillement lointain du chant des grenouilles et du clapotis de l'eau, faiblement. Elle n'use d'aucune magie.

- Tu as été égal à toi-même, Halewyn. Agressif et odieux face à ce que tu ne connais pas. Un reproche qu'elle ne dissimule même pas. Mais tu es définitivement un sorcier, une créature de l'art obscur, le condamne-t-elle sans détour.

Il y a un silence. Un silence lourd et inconfortable. Elle serre la mâchoire et trépigne sur son siège de pierre. Elle lise son manteau avec application, comme si elle n'avait rien entendu. Elle est un peu troublée, parce qu'elle s'attendait à une réaction agressive, voir violente, comme d'habitude. Mais elle sent son inconfort. Peut-être se retient-il parce qu'elle vient de lui dire qu'il est agressif et odieux et qu'il ne veut pas nécessairement lui donner raison ?

- Mes conditions, demande-t-elle sans marquer l'interrogation ou simplement l'affirmation. Elle pivote vers Halewyn et le dévisage, stricte. Mes conditions ? Mes conditions pour quoi ? Tu ne m'as rien demandé. Tu t'es contenté de refuser tout ce que je t'ai offert, lui reproche-t-elle avec beaucoup plus d'émotions qu'elle n'en a exprimé depuis depuis le début de leur conversation.

En fait, il lui avait fait une seule demande. Il lui avait demandé de l'aider. Ensuite, il avait refusé toute l'aide qu'elle avait voulu lui apporter. Devant son silence, elle se relève brusquement et s'éloigne à grands pas. Enfin, aussi grand que peuvent l'être les pas de Xoramen. Elle s'arrête brusquement, fait demi-tour et revient vers Halewyn. Lui, assis sur la pierre, elle debout, elle est à peine plus grande que lui.

- Tu es venu réfléchir au piège que Meledwen t'as tendu. Je suis certaine que tu ne sais même pas ce qu'elle te demande au juste. Elle ne sait même pas, elle non plus, ce qu'elle te demande. Tout ce qu'elle veut, c'est que ça ne se reproduise pas. Que tu redeviennes le Halewyn qu'elle connait, celui qui n'est pas torturé par la magie qu'il porte en lui et qu'ils combattent depuis toujours. Celui qui ne fera pas de mal à ses amis et qui deviendra le grand guerrier qui combattra les monstres qui pourraient atteindre Eranth. Elle se penche juste un peu, pour se rapprocher. Des monstres, tout comme moi, dit-elle, comme une menace. Des monstres semblables à ce que tu sais être maintenant. Elle recule. Que comprends tu de ce qu'elle t'as demandé ? Que choisis-tu de faire ? interroge-t-elle, insistante. Elle marque une pause. À la fin, Halewyn, tu seras le seul responsable de tes choix, dit-elle sur un ton étonnamment doux, ce qui tranche avec celui menaçant qu'elle usait quelques secondes plus tôt.

Mais elle se détourne et s'éloigne. Elle finira bien par tomber sur Fabre.

Xoramen ne se retourne pas, mais elle cesse de s'éloigner. Si elle ne lui fait pas face, elle écoute tout de même ce qu'il a à dire. Les monstres sont des monstres parce qu'ils sont différents. Ici, à la Montagne Noire, faire la part entre les monstre et les gens était aisé. La plupart des gens étaient humains et/ou pouvaient s'y confondre ou presque. Coryanthe était une rare exception et sans doute la seule avant l'arrivée de Muelle et Xoramen. Les Monstres de la montagne Noire était des créatures sauvages qui habituellement, se nourrissaient des gens de temps en temps. Ça, pour les gens, c'était pas bien. Plus on descendait de la montagne noire, plus on était sujet à croiser des monstres familiers. Ceux que tout le monde s'accordait à considérer comme des monstres. Les sorcières, les harpies, les kelpies sauvages, les troll, les géants, les démons et es tas d'autres.

- Un monstre n'est pas forcément hideux et répugnant, Halewyn, dit-elle d'un ton neutre, sans se retourner.

Elle prend quelques secondes de réflexion, parce qu'elle en a marre de subir ses hésitations et plus encore, ses rejets. Elle sait bien qu'elle ne devrait pas s'étonner, que les gens rejettent toujours les sorcières, qu'il n'est pas le premier, et sûrement pas le dernier à la rejeter, mais elle ne le supporte pas de sa part. Elle soupire et ses épaules crispées se détendent. Elle se retourne et fait face à Halewyn. Elle le dévisage un moment, perplexe, avec peut-être une certaine méfiance, parce qu'elle sait qu'elle n'aurait pas du apprécier autant qu'il dise qu'elle est belle. Enfin, plus belle qu'un monstre.

- Être un monstre n'a non plus rien à voir avec l'humanité.

Elle revient sur ses pas. Elle semble moins contrariée et hargneuse, mais elle essaie d'en avoir l'air.

- Je vais te confier un secret sur les monstres, Halewyn. Et elle se rapproche encore. Un monstre est un être exceptionnel, mais craint par la majorité du groupe dans lequel il évolue, murmure-t-elle, envoûtante. Elle prend appuie sur les genoux d'Halewyn. Les gens confondent monstres et leurs propres peurs. Les gens confondent les monstres et leurs prédateurs. Elle s'approche tout près et lui chuchote à l'oreille. C'est à toi de choisir quel monstre tu veux être.

Oh oui, Xoramen est un monstre. Un monstre à la voix envoûtante et à la gestuelle ensorcelante.

La question ?

- La question ?

Elle se recule, pour dévisager Halewyn, perplexe.

- Quelle question ?

Elle hausse les épaules.

- Qu'est-ce que tu veux, Halewyn ?

Elle retient son premier réflexe de s'échapper. Pourquoi ? Parce qu'elle de celles qui s'approchent mais qui ne laissent personne approcher ? Ce n'est pas une bonne raison. c'est elle qui s'est approchée de toute manière, non ? Pas maintenant. Elle ne craint rien. Et puis, même si, elle sait se défendre. Il n'a pas le pouvoir de la contrer, pas encore, même si pour le moment elle n'use d'aucune magie.

Oui, ce qu'il est et l'accepter. C'est là tout le fondement de toutes ses propositions. Halewyn possède en lui une puissante magie. Qu'il apprenne à l'utiliser pourrait le rendre dangereux, Xoramen le sait, elle l'a senti. Mais il sera toujours plus dangereux, pour tout le monde, qu'il ne la maîtrise pas. Dangereux pour lui. Elle ferme les yeux, brièvement lorsque que ses lèvres touches les siennes, chaudes, délicates pour une fois. Elle n'esquisse aucun geste ni pour fuir, ni pour rester.

- Il n'appartient qu'à toi de ne faire de mal à personne, dit-elle en suivant le mouvement qu'il lui imprime.

Elle se dit que si elle avait opposé une résistance, il ne lui aurait quand même pas tiré les cheveux. Elle lui en aurait collé une, au risque de se briser les jointures. Elle le laisse l'enlacer et profite de sa chaleur sur sa peau froide. Elle ne ressent pas le froid, mais elle ressent la chaleur, même à travers le manteau.

- Ne promet rien sur ta vie, si ce n'est envers toi-même. Ne promet surtout rien sur ta vie à une sorcière, Halewyn, même pas à moi. Le changement est inévitable. Tu le ressent déjà. Si tu veux maîtriser ta magie, tu devras maîtriser le changement. Un genoux sur le pierre, les bras sur les épaules d'Halewyn, elle couvre les yeux du néophyte d'une main froide. Fermes les yeux et concentre-toi. Tu connais bien les lieux. Tu en connais les sons. Tu en connais les odeurs. Écoute ce qui t'entoure. Respire les odeurs ambiantes. Tu as su reconnaître ma magie dans la boucherie, parce que je te l'ai fait découvrir. La ressens-tu encore si je n'en use pas ?

Elle pourrais le booster avec un coup de sang, mais elle ne préfère pas. Pas après ce qui s'est passé la dernière fois. Elle prend soin de n'user d'aucune magie, pas plus que ce qui la maintient en vie.

Elle sait tout de suite que quelque chose cloche. Il s'agite beaucoup trop. Elle caresse délicatement sa joue, mais n'ose pas faire quoique ce soit de magique avant que ça dégénère ou que ça s'arrête. Elle ne sait pas ce qui l'agite, elle sait juste que ça semble douloureux, mais que ce n'est pas une première pour lui. Il semble en avoir l'habitude, même si ça ne semble pas non plus agréable.

- Tu peux arrêter quand tu veux, Halewyn, lui propose-t-elle, sachant bien que c'est pas sur qu'il trouve du premier coup.

Ça chante. Ça chante et ça fait mal. Qu'est-ce que ça veut dire ? Elle le laisse poursuivre, parce qu'il ne semble pas vouloir abandonner la partie, mais elle reste aux aguets.

Lorsqu'il déclare qu'il a trouvé sa magie, Xoramen le dévisage tout d'abord, perplexe, sans être certaine qu'il l'ait effectivement trouvé, mais lorsqu'elle entends le chant, elle se fige. Les yeux ouverts, elle fixe droit devant elle, plus loin que Halewyn. Oui, il l'a trouvé, elle sent sa magie l'effleurer, mais aussi ce chant. Ça ne lui appartient pas. Ça n'appartient pas non plus à Halewyn. Elle reste silencieuse quelques minutes, à écouter, attentive.

- Je L'entends aussi. Oui, ça chante... mais ça ne me fait pas mal... qu'est-ce que c'est ? demande-t-elle, se demandant si Halewyn le sait lui-même.

Il rompt le lien créer, le chant se tait. Elle hoche la tête. Elle reste silencieuse, cherchant à se rappeler si elle connait ce chant. Il ne lui est pas étranger, même s'il est loin de lui être familier. Comme si elle avait entendu ce chant il y a très longtemps. Peut-être est-ce une incantation ? Un charme ? Elle cherche, essaie de se souvenir. Un souvenir auquel elle ne peut pas avoir accès, parce qu'ils ne sont pas les siens.

Halewyn revient et se rassoit à côté d'elle. Elle réfléchit toujours au chat, essaie de le fredonner dans sa tête, mais elle n'y arrive pas. La mélodie lui échappe dès qu'elle essaie de se rappeler.

- Le fait que tu ne sois pas le seul à entendre quelque chose ne signifie pas que tu n'es pas fou, note-t-elle, lucide, mais sans vraiment porter attention à ce qu'elle dit. Elle a une problème plus complexe a résoudre. Mais le chant dont tu parles, il existe. Ça ressemble à une incantation... ou peut-être un mantra... suggère-t-elle, pensive. Elle reste silencieuse, les sourcils froncés, durant quelques secondes ou peut-être quelques minutes. Elle se retourne brusquement vers Halewyn et le dévisage. Elle semble se questionner un moment, puis décide de se lancer quand même. Si j'ai bien compris, ce chant se fait entendre principalement lorsque tu es... moins sur tes gardes ? Quand tu veux sombrer dans le sommeil par exemple. Et que plus tu essaie de le chasser, plus il est lancinant ? Jusque là, c'était facile. Le plus difficile est sa prochaine question. Est-ce que tu accepterais de le faire venir à toi à nouveau ? Elle voit bien son hésitation. Maîtriser la magie demande de la concentration. Le meilleur moyen d'éliminer un rival dans la sorcellerie, c'est de le déconcentrer. Tu ne pourras pas ressentir ta magie, ta propre magie si tu n'est pas ouvert à elle. Mais elle doit tout de même lui faire un aveu. Je ne suis pas certaine que ça peut marcher. Mais je peux essayer.

Elle comprend, c'est jamais amusant d'appeler la peur et la douleur pour mener quelque chose à bien.

- C'est exactement pour cette raison que tu dois essayer. Je ne te laisserai pas souffrir pour rien, dit-elle.

Si elle se posait la question à savoir combien de temps ça p^rendrait, elle est passablement surprise du court délais. Et si cette fois, elle ne l'entends pas, il est évident qu'elle pourra se ficher sur l'air douloureux du prince pour savoir si ça fonctionne ou pas.

Si tout d'abord il ne se passe rien, elle se met à fredonner, tout doucement d'abord, puis avec un peu plus de force. Aucune parole, qu'une mélodie douce et lancinante. Elle module sa voix, doucement, lentement, pour trouver le ton juste. Celui qui brisera l'harmonie du chant qu'entends Halewyn.