Lac Emmuraillé

Imperturbable, Xoramen continue de moduler sa voix. Bon, d'accord, elle a peut-être menti. Elle le laissera peut-être souffrir un peu encore. Il se met à chanter lui aussi, la même mélodie qu'elle entend maintenant parce qu'il la fredonne. Elle sent tout de suite que cette mélodie s'en prend à elle. Elle est donc sur la bonne voie. Ou la bonne voix, c'est selon. Elle laisse la mélodie venir à elle. Ça lui donne l'impression qu'on la brûle, qu'on la griffe. Mais elle sait que ce n'est qu'une impression. Il n'y a aucune trace sur sa peau. Elle fredonne toujours, comme un mantra, répétant la mélodie qui a mit ce chant en émoi.

Elle persiste, puis après un moment ou rien ne change, elle s'approche d'Halewyn et s'agenouille à côté, là ou il n'a pas vomit et elle pose la main sur son épaule, se voulant rassurante, mais elle hausse le ton de son mantra. Elle l'aura ce satané chant. Elle écoute attentivement, puis calque la mélodie d'Halewyn, avant d'y entremêler la sienne. Parfois elle fredonne en harmonie avec Halewyn, le reste du temps, elle y oppose sa mélodie.

Et ça ne marche pas du tout. Xoramen grimace et si elle sait qu,il ne peut pas trop se faire mal lui-même, avec sa propre magie, elle sait que la magie qu'elle lui oppose, peut, elle, lui faire mal. Au même moment ou elle abandonne et se tait, Halewyn s'écroule. Le sortilège fonctionne, il n'est pas mort. Sa magie entrave sa puissance. Mais ce truc, ce chant, qui ne lui appartient, pourquoi il l'entends toujours ? Aurait-elle raté quelque chose dans son sortilège ? Elle s'assoit sur la pierre et détaille Halewyn, la mine boudeuse. Non, elle est certaine que le sortilège a bien fonctionné. Ce n'est pas elle qui cloche. C'est Halewyn. Ou ce chant, peut-être.

Bon sang, elle l'a encore mis dans un tel état... ils vont finir par croire qu'elle le fait exprès. Elle ne devrait peut-être plus s'en mêler...

Xoramen voit et ressent la magie. Et après quelques secondes d'observation, elle se rend bien compte que Halewyn lutte. Tant qu'il lutte, c'est bon signe. Enfin, dans son cas. Il est tellement rébarbatif à la magie que la lutte est inévitable. Et pourtant... ça semble tout de même être efficace. Elle ressent sa protection, sans la voir. Elle ressent aussi la protection se fissurer et s'étioler. Elle n'ose pas lui donner le coup de sang nécessaire vu les problèmes que ça apporté les fois précédentes. Mais elle quitte le banc de pierre et elle s'agenouille à côté d'Halewyn et elle surveille. De toute manière, il devra pourtant faire face à tout ça un jour et lutter. Aujourd'hui, il n'est certainement pas prêt, mais de toute manière, si ça doit le tuer, ça le fera bien un jour ou l'autre.

Mais il lutte et ça semble le récompenser. Elle ressent une toute autre forme de magie prendre le pas sur ce qui l'attaque. Et elle ressent bien que ça vient de lui et non d'une autre source, comme le chant. Elle le laisse donc faire. S'il reperd l'avantage, elle lui donnera un petit coup de pouce. Mais il s'avère qu'il n'en a pas besoin, puisqu'elle ressent ce qui s'apparente au chant quitter Halewyn, ou quelque chose du genre.

Fait surprenant, elle entend bien la voix qui la traite de salope.

- Connard, lance-t-elle à elle ne sait trop qui, piquée au vif. C'est quand tu veux.

Et maintenant, elle n'a plus de doutes, quelque chose surveille Halewyn depuis longtemps. Elle n'a absolument aucune idée de ce que ça peut-être, mais ça ne lui est pas étranger, bien qu'elle ne sache pas du tout pourquoi et en quoi ça consiste. C'est comme un lointain souvenir, mais qu'elle n'arrive pas à ramener à la surface.

Délicatement, elle tire sur Halewyn pour qu'il ne se vautre pas dans ses propres vomissures puis, contre toute attente, allume un feu avec du lichen et des brindilles trouvées un peu autour le tout couvert de branches prélevées sur les arbres morts qui pullulent autour. Halewyn n'est pas aussi froid habituellement. Et elle attends le réveil d'Halewyn.

Ou l'arrivée de Fabre.

Elle reste tout près, parce qu'elle le veille. Il est inconscient, mais il est vivant et elle compte bien qu'il le reste. Elle le rapproche du feu et se sert de lui comme écran pour ne pas s'assécher. Et elle attends.

Il finit par bouger et grogner, elle reste tout près et le surveille. Il se met à trembler et elle se dit qu,il a froid. Elle attire la chaleur du feu vers lui, et elle grimace en sentant la chaleur sèche du feu. Elle déteste le sec. Quand il tente de se retourner, elle se recule, pour échapper au sec.

- On dirait bien que j'ai encore faillit te tuer, dit-elle, sur un ton navré, mais sans remords.

après tout, la magie, si elle est merveilleuse, est aussi souffrante parfois. Et Xoramen n'a pas été épargnée non plus depuis sont arrivée à la Montagne Noire.

Xoramen n'a pas froid. Elle ne dégage même pas de buée lorsqu'elle respire. Il fait pourtant froid. Elle a certes remis son manteau, mais sur un jupon et un corsage détrempée, les cheveux encore mouillés elle n'as pas l'air incommodée. Elle ne l'est pas.

- Faut pas ? Te tuer ? Je sais, c'est pas non plus ce que je veux, dit-elle, les sourcils froncés. Oui, tu as trouvé ta magie. Mais ça n'aurait pas du impliquer une telle douleur, dit-elle, de toute évidence déçue. Oui, tu as un coeur, sinon tu aurais bien du mal à te servir de ta magie... Qui ? Elle ne connait pas tout le monde à la Montagne Noire. Elle a surtout été très discrète et elle ne s'est pas montrée beaucoup ces derniers jours. Ces dernières semaines disons. Elle a d'autres préoccupations pour le moment. Je ne sais pas pourquoi ça se passe si mal avec toi... je ne dis pas que ça doit se passer sans problèmes et sans douleurs, mais... elle dévisage Halewyn, l'air peiné. Tu sais que tu es probablement envoûté ? Ou peut-être est-ce quelque chose de plus perfide... informe-t-elle, de but en blanc.

Elle fronce les sourcils lorsqu'il parle de Doreah. De quoi il parle ? Qu'est-ce qu'elle vient faire dnas cette histoire ? Doreah envoûter Halewyn ? Nan, surement pas. Doreah n'a pas le talent pour envoûter qui que ce soit. C'est plutôt le contraire. C'est Halewyn qui a envoûté Doreah et ça la rend dingue. Mais elle ne révèle pas ses pensées. Elle saisit tout de même le lien et ça l'amuse. elle glousse.

- Non, je demandais qui est Haize ? Je ne sais pas qui c'est. Une amante contrariée ? lui demande-t-elle en lui adressant un regard de biais. Souriante, elle se renfrogne tout de même lorsqu'il affirme ne pas savoir qu'il est envoûté. Tu as trouvé ta magie, tu pourras la retrouvée, comme tu as retrouvé la mienne. Qu'est-ce que tu as fait pour repousser ce... chant ?

La visualisation, c'était bien. Très bien, même, pour quelqu'un qui n'a jamais usé de magie. Habituellement, la plupart des sorciers découvraient leur magie très tôt dans leur vie. C'était ancré en eux et l'apprentissage se faisait naturellement, parce qu'ils étaient sorciers par nature. Halewyn devait tout apprendre, mais peut-être était-ce parce qu'il était un guerrier, ou quelque chose du genre, qu'il était arrivé à repousser cet assaut. Elle ne sait pas trop s'il a raison au sujet de qui a gagné, mais elle sait au moins qu'il a raison sur une chose. Ce qui l'envoûte ne voulait pas le tuer.

- Ça va revenir. Ça me l'a bien fait comprendre. En plus, il m'a traité de salope ce connard, peste-t-elle entre ses dent, de toute évidence courroucé par ces propos peu flatteurs. Ce n'est pourtant pas la première fois qu'on les lui adresse. Non, il ne t'as pas laissé gagner. Que tu sois encore vivant ne signifie pas que tu as gagné. Les sorcières ne tuent pas souvent, Halewyn. Tuer c'est faire preuve de beaucoup de clémence.

Les chimériennes volaient la magie et tuaient souvent ceux qui détenaient cette magie. Dans ce cas là, ce n'était pas de la clémence, c'était juste pour se débarrasser de témoins encombrant.

Fabre descend la pente avec Buddy. L'air renfrogné de Xoramen se transforme en un sourire amusé. Elle quitte le banc de pierre dès que Fabre pose les jackalope sur le sol. Parce qu'elle ne tient pas à tacher son manteau, on lui lui a cédé, elle ne veut pas le gâcher maintenant, elle le retire et le pose sur la pierre avant de fouiller ses jupons et d'en tirer son stylet. Une chimérienne n'est jamais désarmée. Ou le cache-t-elle ? Difficile à dire. Elle revient vers les jackalopes et s'agenouille à côté. Elle saisit le premier et le pose, avant de prendre celui qui lui semble le plus froid.

- Ça va être parfait !, dit-elle avec une pointe d'excitation dans la voix.

Elle pose le jackalope sur la pierre et attrape la longe, qu'elle confie à Halewyn.

- Tu gardes Buddy avec toi, ordonne-t-elle, avant de froncer les sourcils et de plisser les yeux. Et tu ne t'approche pas du sang, dit-elle, à voix plus basse, pour Hale seul, parce qu'il y en aura.

Elle retourne vers les bêtes mortes, puis, sans faire ni une ni deux, d'un coup de stylet bien placé, elle lacère la fourrure d'un trait ferme et en retire la peau et la fourrure avec une aisance habituée.

- Mieux vaut, tout d'abord, qu'elle ne puisse pas reconnaître ce qu'elle mange, surtout pour éviter qu'elle ne veuille chasser seule. Peut-être plus tard, dit-elle en tournant la tête vers Fabre, poursuivant de toute évidence une conversation qu'ils ont déjà eu.

Elle prend le carcasse et elle se dirige vers la kelpie d'un vert-de-gris pommelé nommée justement Lichen. Elle n'est pas très loin et la femelle s'est approchée juste derrière Fabre. Xoramen lui caresse tendrement le chanfrein, lui glisse quelques mots rassurants, puis d'un coup de menton, fait signe à Fabre d'approcher. Un autre coup de stylet et elle égorge le jackalope et se macule les mains de sang, puis elle approche ses mains des naseaux de Lichen. La femelle réagit tout d'abord et tentant de reculer.

- Retiens-la, Fabre, demande-t-elle, doucement.

Fabre sait s'y faire avec les kelpies. Et puis il est si calme, si placide, Lichen cesse aussitôt de vouloir reculer. Xoramen continue de parler doucement à Lichen, jusqu'à ce que la femelle finisse par consentir à goûter le sang sur ses mains. Une langue rude, hérissées de pointes, comme un chat, râpe la main de Xoramen, mais elle ne s'en incommode pas. Quelques gouttes de sang tombent sur son jupon pâle, mais elle ne s'en incommode pas davantage.

- Ne t'étonne pas si elle mange moins durant quelque jours, informe-t-elle en accumulant un peu de sang dans sa main, avant de prendre la main de Fabre et de faire le transfert. Après avoir soigneusement léché la main de Xoramen, Lichen change pour s'intéresser à la main de Fabre. Xoramen en profite pour détacher un peu de viande fraîche.

Si Xoramen a été la première à faire goûter sur sang à Lichen, elle lui cède chacun des morceaux de viande et elle le laisse nourrir son kelpie d'une toute nouvelles manière. Elle reste attentive, parce qu'après tout, ça reste une expérimentation. Ils ont discuté des possibles conséquences et si Xoramen n'aurait pas vraiment de réticences à faire ce qu'il faut, elle a bien fait comprendre à Fabre que si Lichen réagissait mal, ou trop agressivement, il faudrait agir. Mais Lichen est une brave bête et elle est de nature placide.

- C'est une possibilité, mais tant qu'elle reste bridée, les chances sont minces... je crois.

Xoramen ne vaut pas s'interposer entre Fabre et Lichen. Pas plus qu'elle ne veut prendre l'avantage sur la bête. Ce n'est pas parce qu'elle ne déteste pas Lichen qu'elle apprécie davantage les kelpies. Les kelpies sauvages et les sorcières d'eau ont un long passé en commun et ils ne s'apprécient pas particulièrement.

- Elle aura moins d'appétit, la viande est plus riche, plus nourrissante. Mais si elle préfère son nouveau régime, elle boudera peut-être l'ancien. Xoramen hausse les épaules et tend un autre morceau à Fabre. J'expérimente avec toi et avec ce que je sais des kelpies sauvages et ce que toi tu sais des kelpies domestiques. Et le premier Jackalope y passe au complet. Encore ?, demande-t-elle à Fabre, ravie que pour le moment, tout se passe bien.

Tandis qu'elle laisse les derniers morceaux sanguinolents à Fabre, elle va chercher une autre proie. Halewyn intervient. Elle l'avait presque oublié, toute occupée à son expérimentation.

- Tout ne réagit pas aussi mal à un nouveau régime, dit-elle sans se retourner, avec peut-être un peu de rudesse, l'accusant presque d'être responsable de ce que le sang lui fait à lui.

Elle perce la peau et dépouille le gibier de sa fourrure. Elle se reprend, plus doucement en regardant Halewyn cette fois. Des gouttes de sang pictent son jupon pâle d'un rouge vif.

C'est normal, les kelpies sont des carnivores par nature. Oui, Lichen change, je le vois aussi, mais on a réfléchit à la question. On ne tente pas l'expérience sur un coup de tête. On y a réfléchit, répète-t-elle avant de rejoindre Fabre avec l'autre bête écorchée.

Xoramen se nettoie les mains dans l'eau glaciale du lac. Mais elle ne ressent pas le froid. Elle laisse Fabre nourrir Lichen et si elle observe attentivement les réactions de l'équidé, tout semble bien se passer. Lichen est une bonne bête... pour un kelpie. Elle n'apprécie pas trop les kelpies... elle n'a jamais apprécié les kelpies... les sauvages du moins.

Mais Fabre est plus attentif qu'elle. Du moins en ce qui concerne Halewyn. Elle était bien là, mais lorsque Halewyn prétend être blessé et saigner, elle lève les yeux du lac et se précipite vers Halewyn.

- Tu saignes ? Et comment ? Montre-moi ! Comment peut-il saigner ?

Non, Xoramen n'allait pas le lâcher, elle ne s'était pas rendue compte de l'étendue de l'attaque avant que Fabre ne réussisse à retirer les vêtements d'Halewyn.

- Par les Juges...

Un peu choquée, elle laisse Fabre se charger de son frère. Elle semble réfléchir à ce qui a pu se passer.

- J'ai encore presque tuer Halewyn, dit-elle en haussant les épaules.

- Bien sur que c'est ma faute... dit-elle, de toute évidence contrariée. Elle pointe Halewyn J'ai même pas remarqué. T'aurais pu me le dire, Halewyn !

Elle voit bien qu'il a mal. Elle ne sait pas trop ce que ça peut donner.

- Je n'ose rien tenter... murmure-t-elle, désolée. Il faudra désinfecter, ajoute-t-elle. L'eau purifie, dit-elle, avant de visiblement changer d'idée et elle pose ses mains froides sous la mâchoire d'Halewyn. Elle ferme les yeux et baisse la tête. Aussitôt, une subtile chaleur irradie de ses mains pour diffuser un apaisement dans la douleur