Inquiétudes et fébrilité

D'autres symboles ont fait leur apparition autour de la porte de la chambre de Muelle et Xoramen. Des symboles qui luisent très faiblement dans la pénombre du couloir. Dès que Halewyn frappe, ils semblent disparaitre, peut-être se cachent-ils. Il y a une faible vibration dans le bois, puis le clapotis de l'eau. Et ça n'a rien à voir avec la magie, la porte s'entrouvre avec un bruit suintant.

Il fait sombre dans la chambre, très sombre. Et c'est humide. Humide et froid. Pourtant, non, elle ne dort pas. Il peut entendre ses bijoux cliqueter, tout comme le bruit caractéristique des sangles qu'on noue.

- Tu devrais dormir, conseille-t-elle d'une voix blanche.

En ce qui la concerne, c'est bien la première fois qu'elle reste en place si longtemps. Elle bouge si peu qu'elle a une chambre à elle... enfin, à Muelle et elle, mais Muelle n'est pas là très souvent. Disons que par souci de sécurité, les Sorcières des marais habitent un secteur du marécage et non un endroit précis.

- Je fais et refais mon paquetage...

Une occupation manuelle lui occupait autant les mains que l'esprit. Elle en avait besoin.

Elle perçoit la lueur orangée dans son dos et elle tourne la tête. L'éclat de la flamme se reflète dans son regard un instant, lui conférant une lueur inquiétante. Elle le fixe une ou deux secondes, puis saisit que ce n'est pas un briquet. Son air préoccupé se change en un sourire ravi et elle rejoint Halewyn dans un chuintement mouillé et elle pose la main sur le poignet d'Halewyn pour descendre la flamme à sa portée. Mais si elle n'y touche pas, elle a un hochement de tête satisfait. La flamme projette ombres et lumières sur sa peau pâle.

- Oh, tu as fait la paix avec le feu, s'exclame-t-elle, contente. Puis elle prend un air perplexe. Humide ? interroge-t-elle avant de se souvenir que la dernière fois qu'il a vu cette chambre, l'eau ne devait pas suinter du plancher, ni ruisseler des murs. Oh... ça... c'est... c'est nécessaire... l'air de la Montagne Noire est sec...

On disait habituellement que l'air de la montagne Noir était froid... pas sec...

C'est une belle flamme. Petite, mais efficace. Il va la poser sur la cheminée et elle hoche encore une fois la tête. La flamme n'a pas faiblit.

- Non, tu ne me dérange pas, dit-elle d'un ton neutre. Jaser ?

Elle se demande bien de quoi ils pourraient jaser, juste avant qu'il prétende qu'il ne la connait pas si bien que ça. Elle suspend son geste et le dévisage.

- Non, en effet... mais tu as une longueur d'avance sur moi en ce qui concerne les autres.

Si Halewyn est angoissé à l'idée de faire son tour sans connaître Xoramen, elle se demande dans quel état elle devrait être, elle qui ne connait personne tant que ça. Il ajoute, après avoir attentivement tenté de déterminer qui marche dans le corridor, qu'il se cache de Doreah.

- Doreah ? Pourquoi nous accompagnerait-elle ? Un sourire moqueur se dessine sur ses lèvres. Elle croit qu'elle doit veiller sur toi ? Elle glousse, avant de réaliser quelque chose. Oh, dit-elle en grimpant sur le lit, debout, elle rejoint Halewyn en sautillant. Non, elle craint plutôt que la méchante sorcière ne transforme son merveilleux prince en quelque chose de pas naturel ? interroge-t-elle en lui tapotant d'un index léger, le bout du nez.

Elle se détourne aussitôt et glousse, moqueuse. Elle semble soudainement animée et joyeuse. En un tour sur elle même, elle se laisse tomber sur son lit qui chuinte, les jambes croisées sous ses jupes. Elle fixe Halewyn une ou deux secondes, avant de tendre les mains et le lit se met à dégoutter sur le sol, séchant les couvertures. Il n'y a pas d'autres endroit ou s'asseoir.

Encore une fois, Xoramen rigole. Elle a bien saisit ce que la proposition sous entends et si Doreah est bien en âge de se marier, il en va autrement pour Halewyn.

- Oh tu ne paie rien pour attendre. Si ce n'est pas à l'aube, c'est à notre retour que tu l'auras la proposition, ricane-t-elle en lissant ses jupons autour d'elle.

Elle n'apprécie pas vraiment Doreah. Mais Doreah a raison, c'est certain que Xoramen changera Halewyn, elle l'a déjà fait, il est en voie d'accepter la magie qu'il porte en lui.

- Mais je suis sérieuse. Ce que je t'apprends à contrôler n'a rien de naturel à ses yeux. Elle croit que c'est moi ou Muelle, peut-être les deux. Mais que ce soit les deux est impensable. Jamais une Daee et une chimérienne ne comploteraient de la sorte, dit-elle avec une sincérité évidente.

C'est faux. Les chimériennes et les Daee complotent toujours de la sorte. N'est-ce pas la raison pour laquelle elles sont ici, Muelle et Xoramen ? Elle plisse les yeux. Pourquoi faire connaissance ? Qu'est-ce qui fait que là, maintenant, c'est si important ? Elle n'aime pas qu'il l'observe comme ça. Ou peut-être que si, mais elle est une sorcière. C'est le naturel des sorcières d'être mystérieuses et inconnues. Son ricanement a des intonation perfide.

- Je ne suis pas ta protectrice et tu n'es pas mon bras armé. Tu sais à peine user de ta magie. Mon bras armé, c'est Zorehira et je suis la protectrice de la Chimère. Tu es... Elle hésite. Elle se rend compte qu'elle en fait peut-être un peu trop. Elle baisse les yeux et lisse ses jupons. Tu n'es pas vraiment non plus mon apprenti... Elle semble avoir du mal à déterminer ce qu'ils font. Ça ne suit pas vraiment les usages. Disons que je t'apprends ce que je sais pour que tu ne te consumes pas toi-même... finit-elle par dire à voix basse.

Ça sonne beaucoup moins bien que ça n'aurait du...

Elle relève les yeux, incrédule lorsqu'il se met à rire. Il rit vraiment ? Elle garde la tête base, mais elle l'observe attentivement, incertaine. Elle a un froncement de sourcil évocateur.

- Pourquoi je te condamnerais au bûcher ? Ce serait stupide, tu sauras bientôt manipuler le feu, ça ne te tuerais pas. Tu souffrirais bien d'avantage si je te noyais.

Mais elle ne le ferais pas. Elle ne le fera pas. Elle affiche tout de même une moue boudeuse, il a quand même dit qu'elle ne dit jamais la vérité. C'est faux... elle ne ment presque jamais... mais elle ne dit pas non plus la vérité. Elle croise les bras et si elle semble vexée, elle ne fait rien pour le mettre à la porte.

- Personne ne devait partir. Ce n'était pas prévu, mais c'est nécessaire, dit-elle pour se convaincre.

Parce que oui, ils partent le lendemain matin, mais elle tente encore de se convaincre. Elle réfléchit un instant, cherchant à établir ce qu'elle savait sur chacun d'eux. Elle fait rapidement le tour. Basique.

Puis Halewyn parle de ses secrets. Elle braque un regard sombre sur lui, dont le seul éclat est celui de la flamme.

- En fait, ce sont mes petits secrets que tu veux savoir, pas me connaître, ricane-t-elle, perfide. Je suis une sorcière, Halewyn, alors les sorcières sont toujours là. Et je suis ce que je veux.

En fait elle est surtout ce qu'elle doit être, mais elle n'envisage pas encore que ça puisse être deux choses totalement différentes. Elle se penche en avant et s'appuie sur ses mains et s'approche d'Halewyn. Elle le fixe, amusée.

- Je ne te raconterai pas mes petits secrets. Parce qu'il faudrait ensuite que je te tue. Que tu me le jure ne serait pas suffisant.

Mais serait-elle capable de le tuer ? Voudrait-elle le faire ? Non.

Son sourire amusé fond comme neige au soleil par 30 degrés. La flamme s'étend sur la cheminée, sans que ce soit du fait d'Halewyn. Une vague aqueuse vient déferler autour des flammes, réfléchissant la lumière et la diffusant dans la pièce. Il ne fait plus aussi sombre. Durant quelque secondes, elle semble furieuse, puis l'éclat acéré de ses yeux noirs s'estompe.

- As-tu si peu d'estime pour ta vie ? Je suis une chimérienne, Halewyn, une voleuse de magie. Ne fais jamais une telle proposition devant Jitanjali ou Zorehira. Elles te les prendraient et te tueraient. Mes secrets ne valent pas ta vie, surtout ceux que tu proposes, dit-elle, contrariée.

Elle serre la mâchoire et saute hors du lit et fait quelques pas, l'air nerveuse. Et soudainement, elle s'arrête et se retourne d'un coup vers Halewyn. La lumière accentue fait briller son regard sombre.

- Est-ce que c'est parce que tu sais que je ne te tuerai pas que tu m'offre cette opportunité ? Si c'est ca, méfie-toi, je ne suis pas aussi désintéressée par ta magie que j'en ai l'air. Je crois seulement que ce sera plus profitable pour moi si c'est toi qui use de cette magie que si Zorehira met la main dessus, crache-t-elle, venimeuse en tournant le dos a Halewyn. Avoir su que ta vie t'importait si peu, je ne me serais pas brûlee pour te sauver de Shiva, assène-t-elle avec plus de tristesse dans la voix que de colère.

Face à la mince fenêtre, elle regarde la noirceur extérieure.

Elle entends le grincement, elle l'entend se déplacer. Elle ne bouge pas d'un cheveux. Elle continue de fixer, stoïque, la noirceur extérieure. Lorsqu'il l'enlace, il la sent se crisper, mais elle ne fait rien pour se dégager. Rien de violent du moins. Elle ne ressent pas le froid, mais elle ressent la chaleur. Elle droite et immobile, comme si elle se disait que si elle n'a aucune réaction, il va la lâcher. La question la pique au vif. Elle ne se retourne pas, mais il la sent frémir, d'indignation peut-être ?

- Ça n'a rien à voir avec le tour, ment-elle d'un ton sec.

Puis dès que les mots ont franchit ses lèvres, elle se rétracte. Le mensonge est si gros. Elle n'attendra pas qu'il le lui fasse remarquer. Elle soupire, puis se détend. Il peut même sentir qu'elle se repose un peu contre lui.

- Ce n'est pas le tour, ce n'est pas le voyage. C'est l'environnement. Le Cercle de Hautes-Pierres, ça n'a rien à voir avec le marécage...

Sec. Oui, en effet, elle déteste la sécheresse. Elle supporte le feu uniquement lorsqu'il y a de l'eau à bouillir... ou là, dans sa chambre froide et humide. C'est la première fois qu'elle vient à la Montagne Noire et elle n'est jamais allée au-delà. Et il y a une bonne raison. L'aridité du Cercle de Hautes Pierres. Et elle s'est presque portée volontaire pour y aller, du moins, quand elle en a discuté avec Yslaire... elle n'est pas convaincue que la neige, même fondue... non, en fait, Halewyn ne peut pas comprendre ce qui la tracasse. Il est humain. Les humains ont une capacité d'adaptation exceptionnelle. Ils vivent et survivent partout. On ne peut pas en dire autant du reste des créatures.

- Tu es chaud et sec, Halewyn, comme le feu. Moi je suis tout le contraire. Elle ne précise pas qu'il est humain. Ça ne ferait qu'attirer les interrogations dont elle ne veut pas parler. Mais non, nous ne manquerons pas d'eau, pour boire, s'il y a la moindre trace, je la trouverai.

Halewyn trépigne, il semble mal à l'aise. Elle ne bouge pas, parce que si elle ne ressent pas le froid, elle ressent la chaleur et comme elle vient de le dire, Halewyn dégage de la chaleur, beaucoup de chaleur. Assez pour que sa propre peau se réchauffe. En fait si, elle bouge.

- Je suppose que la plupart des créatures diurnes dorment... les créatures nocturnes sont en chasse. Les possibilités sont aussi infinie qu'il y a d'êtres. Que fais-tu la nuit, toi ? Tu ne dors pas ? Encore ?

- Tu sais, quand d'autres veillent, tu n'as pas à veiller

Oui, bon, elle n'était pas du genre à avoir le sommeil lourd. Et la seule raison pour laquelle elle arrivait à dormir c'est qu'elle avait bardé la pièce de sortilèges.

- Si tu dormais, tu aurais de meilleurs résultats. Tu es fatigué, dit-elle, pensive. Tu sais, tu devras dormir durant le voyage... tu ne pourras pas veiller tout le temps.

Oui, d'autres combats, d'autres menaces, d'autres adversaires. Elle émet un ricanement sarcastique.

- De toute évidence, tu es aussi pessimiste que moi, dit-elle en posant ses doigts froids sur son bras. Oui, les ombres reviendront. Il y a toujours d'autres combats. De nouveaux adversaires finissent toujours par surgir... et le Piège ne fera que les attirer d'avantage...

- Tu as tort, dit-elle sans fioritures, le sommeil est nécessaire. Tous les humains doivent et ont besoin de dormir, dit-elle, catégorique. Réaliste ? Réalise-tu que la plupart du temps, ce sont les paranoïaque qui ont le plus d'adversaires ? Mais je crois bien que c'est le lot des sorcières d'être paranoïaque... elle ne font pas toujours le bien, du coup, elles voient des adversaires partout... nocturne ?, demande-t-elle en changeant de sujet. Oui, c'est possible. Tu dors mieux le jour ? Et je vois pas pourquoi je te tuerais, je t'ai dit que ce que appelle mes secrets n'en sont pas, ou du moins, ils ne valanet pas ta mort. Je crois que je suis diurne. Mais je peux vivre quelque temps la nuit. Je crois que ça m'est égal. Elle a un instant de silence. Je... le jour aussi respire, je ne comprend pas ce que tu veux dire...

- On ne peut pas se fier à sa vue, la nuit. Il faut se fier à ses autres sens. Je l'entends à peine. Je n'ai pas l'habitude d'un monde de pierre, comme ici. La pierre est rigide, je suis habituée au mouvement fluide de l'eau. Je dois réapprendre à m'orienter ici.

Oui, elle devait presque tout réapprendre. Et la sécheresse de l'environnement la mettait à mal. Elle ne ressent pas le froid, elle supporte bien la chaleur humide. Mais la sécheresse, froide ou chaude, elle avait du mal. Elle le sentait déjà sur sa peau et ici, elle avait accès aux bassins. Demain, elle devra supporter l'aridité de l'environnement.

- Déjà, les kelpies, sont magique. Ils sont domestiqués, leur magie est au niveau le plus faible, mais ils restent magique. Tu devrais ressentir Lichen de manière plus prononcé que les autres. Le piège émet aussi sa propre magie. Tu dois le ressentir aussi. Les harpies, les trolls, oui, des tas de créatures sont magiques.

Elle n'a pas l'air de vouloir quitter la chaleur d'Halewyn. D'ailleurs, il semble que sa peau se réchauffe, du moins si ce n'est pas la peau d'Halewyn qui refroidit à son contact, la différence est moins flagrante.

- Tu devras dormir durant la patrouille... tu crois vraiment que tu passeras à travers si tu ne te repose pas un peu ? Elle soupire. Je voudrais bien te permettre de dormir, mais chaque fois que je tente quelque chose, ça se passe mal, dit-elle d'un ton morose.

Xoramen profite de la chaleur d'Halewyn. Elle repose contre lui, indolente. Elle a un presque imperceptible mouvement lorsqu'il propose de tenter le coup. Non, elle n'est pas certaine que ce soit une bonne idée, pas avant de partir. Mais elle sent tout de suite son malaise et se crispe un peu lorsqu'il parle de coucher. A-t-elle vraiment comprit ? Elle cesse de bouger et presque de respirer. Un baiser sur sa tête et il se dégage. Elle ressent aussitôt la chaleur s'éloigner et si elle avait été sensible au froid, elle aurait frissonné. Il prétend vouloir la laisser dormir. Mais elle sait qu'elle ne dormira pas.

- Je ne dormirai probablement pas. Je recommencerai à défaire et refaire mes bagage, sans comprendre à quoi servira tout ce que Haize m'y a fait mettre. Pourquoi aurais-je besoin d'autant de couvertures aussi épaisses si je ne ressens pas le froid ? Elle n'a même pas bougé. Elle est restée devant la fenêtre, presque immobile. Qu'est-ce que ça fait de voyager en groupe ? Restes... si tu veux...